jeudi 20 octobre 2011

Wine Morosity Report












Le climat menace les vins

Interview de Manfred Stock, de l’Institut de recherches sur l’impact climatique à Potsdam
Manfred Stock étudie comment la viticulture pourrait tirer profit du changement climatique.
M. Stock, n’y a-t-il pas toujours eu des changements climatiques plus ou moins importants qui se répercutaient sur la viticulture ?

C’est exact, il y a eu une période de réchauffement au Moyen Age. Du coup, les viticulteurs allemands ont pu étendre leurs vignobles jusqu’à la Mer Baltique. Puis est arrivé ce qu’on appelle « la petite ère glaciaire », période durant laquelle les conditions de vie sont devenues beaucoup plus difficiles. Les fluctuations climatiques sont donc un phénomène très ancien.

Pourquoi les médias s’emparent-ils de ce thème depuis quelque temps ?

Parce nous assistons à un phénomène nouveau. Il semblerait que l’activité humaine exerce une influence massive sur le climat, provoquant toute une série de changements. C’est une situation assez nouvelle dans la mesure où il n’y aura pas de retour en arrière. Les changements qui interviendront sont encore inconnus à ce jour. Il faut savoir que nous traversons une période de réchauffement exceptionnelle dans l’histoire de notre planète. Et nous aggravons encore les choses en produisant des gaz à effet de serre.

En d’autres termes, si les vignobles se déplacent géographiquement, si les vignes ne poussent plus au même endroit d’ici quelques années, c’est bien à nous-mêmes qu’il faut nous en prendre ?

Le changement climatique et les conséquences qu’il induit sont effectivement le fait de l’Homme, mais pour la production vinicole, les choses se passent assez bien. En effet, ces changements seront bénéfiques à de nombreuses régions. En revanche, ils seront problématiques pour les régions actuellement privilégiées. Avec l’évolution des conditions climatiques, le caractère d’un vin, c’est-à-dire ce que les amateurs recherchent dans un vin donné, va également changer.

On pourrait penser, comme vous venez de le laisser entendre, que certaines régions qui étaient mal loties profiteront du changement climatique en devenant des régions viticoles. La réalité sera-t-elle aussi simple ?

Oui, dans un premier temps. A titre d’exemple, un vignoble qui était cultivé dans les environs de Potsdam il y a 800 ans, alors que les conditions climatiques s’y prêtaient, est à nouveau exploité depuis les années 1990. Depuis, les vins de ce vignoble sont devenus de bonne qualité. Aujourd’hui, la viticulture s’est également développée au Danemark, en Suède et en Angleterre. De fait, les limites septentrionales des cultures de vins blancs se déplacent vers le nord.

Que se passerait-il concrètement si, dans un vignoble de tradition comme le Bordelais par exemple, les températures montaient de quelques degrés ?

Dans le Bordelais, la situation ne serait pas critique en raison de la proximité de l’océan qui crée un certain équilibre. Mais dans l’ensemble, il faudra s’attendre à des changements pas toujours positifs ni pour les vins français ni les vins espagnols. Les vins français auront la personnalité que nous apprécions actuellement chez les vins ibériques. Cela peut être une bonne chose, mais cela peut signifier également que ce caractère ne sera plus celui recherché par l’acheteur. Quant aux vins espagnols que les connaisseurs ont appris à apprécier, ils pourraient connaître des difficultés. En effet, on n’a pas forcément envie de ne boire que du xérès.

Des viticulteurs se sont-ils déjà penchés sérieusement sur la question ?

Oui, comme les viticulteurs observent la nature, ils constatent forcément que quelque chose est en train de changer. Mais ils ne savent pas quoi faire exactement. Beaucoup d’entre eux n’ont pas encore conscience que cela marque le début d’un changement radical. Ils pensent que les choses pourront redevenir ce qu’elles étaient. Sauf que le changement climatique que j’évoquais tout à l’heure est nouveau de par sa forme, et qu’il peut donner lieu à des changements fondamentaux.

Pensez-vous qu’il soit possible de stopper cette évolution, par exemple, puisqu’on ne pourra pas arrêter d’émettre des gaz à effet de serre – en réduisant au moins leur production ?

Si nous y parvenons, ce sera tout au plus dans les domaines concernés par des changements plus problématiques qui s’opéreront sur le long terme. D’ici le milieu du 21e siècle, nous continuerons d’assister aux changements qui ont déjà commencé aujourd’hui. Toutefois, nous pourrons limiter leur ampleur afin que la situation reste supportable, notamment dans le domaine de la viticulture. Cela implique toutefois d’aller plus loin que les engagements de Kyoto, donc de mener des actions beaucoup plus efficaces en faveur de la protection du climat.

Pouvez-vous donner un bref aperçu des pays ou régions viticoles qui sont particulièrement menacés par un changement climatique, ainsi que des pays ou régions qui, a contrario, en profiteraient ?

L’espace méditerranéen est potentiellement menacé par le changement climatique. Le caractère de ses vins pourrait se modifier, et les parasites risquent d’y proliférer. Comme il se pourrait que nos régions soient également touchées, il importe de faire un travail de prévention très longtemps à l’avance. En Allemagne, si nous identifions ces dangers à temps, nous pourrons tirer profit de la nouvelle donne. Nous serons alors en mesure de produire des vins de très grande qualité qui n’auront rien à envier aux vins français. C’est déjà le cas avec les vins du Burgenland en Autriche, qui, lors de dégustations en aveugle, pourraient éclipser des Bordeaux très renommés.

Pouvez-vous dire à partir de quelle année ou de quelle période l’impact du changement climatique se fera sentir sur la viticulture ?

Cet impact est déjà visible. Certaines conséquences se font remarquer sur le plan économique également. J’ai cité le Burgenland, mais en Allemagne aussi, on assiste déjà à une augmentation de la production de vin rouge par rapport à celle du blanc. Nous pensons que cette tendance sera assez marquée dans les 20 à 30 prochaines années.
Propos recueillis par Katja Dünnebacke, ARTE Deutschland, août 2005. Edité le : 25-08-05
Dernière mise à jour le : 30-08-05

Aucun commentaire: